Peut-on parler de vide et de plein à propos de ces jolies boules japonaises que l'on gonfle en soufflant dedans, ce qui suffit à en tendre le papier qui tient ensuite par sa seule raideur, l'orifice par lequel on a soufflé n'étant pas fermé? En tout cas si hier je me sentais ainsi:
aujourd'hui je me sens comme celle du haut, par la grâce d'une bonne nuit de sommeil, et d'une méthodique réorganisation de mon emploi du temps dont, on l'aura compris, je prends le plus grand soin. Voici mon programme du jour, involontairement joli: toutes les couleurs y ont une signification.
C'est toujours de bon augure, à mes yeux, quand l'aspect graphique de mon emploi du temps me séduit - un peu comme ces mathématiciens qui, dit-on, estiment à son élégance la réussite d'une équation.
Ces boules japonaises m'ont toujours intrigué, de même que m'a toujours tenté l'envie de construire des volumes gonflables. Ce goût m'est venu, il y a bien longtemps déjà, de mon enthousiasme pour Claes Oldenburg et pour ses grandes pièces de tissu ou de vinyl remplies de kapok. Quand j'ai découvert, par la suite, que Claes Oldenburg avait, dans son enfance, reçu de sa grande-tante suédoise des collages
qui ressemblent fort à ceux que m'offrait ma grand-mère, dont j'ai déjà montré des exemples plus haut, mais dont voici deux autres jolies feuilles:
mon engouement s'est encore accru de quelques degrés, suivis de plusieurs autres quand j'ai appris que, sorte de blogueur avant la lettre, il tenait de passionnants carnets dont voici deux brefs extraits:
"J'agis d'abord, je théorise ensuite (...).
C'est toujours mieux d'atteindre les choses depuis leur bord opposé. Par exemple d'arriver au sens à partir du non-sens".
Enfin Oldenburg, enfant, a inventé, paraît-il, un pays imaginaire nommé Neubern, dont il a laissé une documentation abondante dans des cahiers pleins d'une richesse de détails hallucinante: industries, villes, commerces, affiches de cinéma, avions..., qui semblent préfigurer la précision du Glooscap de Bublex.
A propos des cahiers de ma grand-mère, je redécouvre, stupéfait, cette page, que je n'avais pas revue depuis qu'elle me les avait offerts,
mais dont le personnage sur la page de gauche hante mon imagination au point de réapparaître au fil des ans dans mes dessins, peintures et livres, comme le montrent ces deux exemples distants de quelques années:
Pour revenir un instant aux boules japonaises en papier, j'avais eu il y a quelque temps le projet d'éditer une paysage entier à déployer selon le même principe: au repos, il aurait été plié, savamment, dans une boîte plate, et un simple souffle aurait suffi à lui donner forme. J'en avais construit un prototype en calque (dont la colle a malheureusement jauni)
mais le projet en est resté là car j'ai manqué de patience pour inventer le système de pliage adéquat.
J'ai conservé, outre la maquette en volume, un carnet rempli d'idées destinées à ce projet:
Dans le même carnet, je retrouve aussi plusieurs pages avec des idées de structures qui ressemblent assez à ce dont j'ai envie pour mes deux nouveaux chantiers en cours: le décor de ballet et la structure d'exposition.
Outre les boules de papier, mon bureau est encombré de deux autres constructions tout aussi fragiles:
celle-ci, dont la non-triangulation menace l'apparente solidité, et celle-là
dont l'empilement serpentin me ramène aux ruisseaux méandreux d'hier ou d'avant-hier, je ne sais plus, et me conduit à ceci:
motif positif-négatif serré qu'arbore joliment le dos de mon âne Tristram, et qui me rappelle cette belle photo de Picasso où l'on voit un trois-mâts miniature voguer sur les vagues agitées d'une longue chevelure féminine.
Comme il y a longtemps que je n'ai parlé ni de Tristram, ni de Sterne, ni de Nabokov, ni de ma spirale adorée, j'opère maintenant ce tir groupé, emprunté à l'excellent livre, déjà cité, de Cécile Guilbert, "L'Ecrivain le plus libre": "Fuyant la mesure et la norme, emblématisant au contraire le désordre et la liberté, la digression serait ainsi du côté de l'errance, de la divagation, s'apparentant par là au labyrinthe, à la spirale, au jeu de miroirs sous lesquels se subsume la figure de l'infini" (les miroirs et le labyrinthe de la classe-chantier!)... et, citant Nabokov: "La spirale est un cercle spiritualisé. Dans la forme hélicoïdale, le cercle, délové, déroulé, a cessé d'être vicieux; il a été rendu libre" (l'étrange mot, "délové"!).
En guise de conclusion, cette belle architecture, qui ajoute à ses qualités intrinsèques le charme familial d'être l'oeuvre de mon neveu Dino.
A demain.