"I smell myself like rabbit" - cette curieuse phrase anglaise, je vous en dirai plus long dans un instant - mais pour l'heure: si je me sentais tel le lapin d'Alice l'autre fois, aujourd'hui je me sens plutôt comme l'escargot que je vous présentais le même jour: "I smell myself like snail". En effet j'ai le sentiment que mes projets n'avancent pas, tant j'en suis au stade des lentes et besogneuses préparations. C'est une chose que j'ai mis beaucoup d'années à comprendre: que les travaux les plus réjouissants impliquent toujours une bonne part de peine, et que tous sont faits de hauts et de bas, d'accélérations et de lenteurs. Ce sentiment est souvent accru par la fragmentation de mes jours en plusieurs tâches menées de front, particulièrement lorsque ces tâches en sont toutes au même stade de lent avancement.
Dans ces circonstances je pense souvent à une sorte de dicton que l'on me disait lorsque j'étais enfant (peut-être un proverbe hollandais) et selon lequel "même un petit brin d'herbe projette une ombre": cela me rassure sur l'utilité de ces ingrates étapes.
Aujourd'hui, par exemple, j'ai passé de longues heures à couper la toile destinée à ma Toile de Jouy - comme le montre cette petite photo, l'immense rouleau à débiter n'était pas très maniable - et maintenant je suis tout à fait épuisé.
Puis il a fallu régler quelques questions liées à la trame que l'on choisira pour imprimer cette toile.
Voici un détail de la photo de départ (il s'agit, comme vous vous en souvenez peut-être, d'inscriptions amoureuses sur un arbre)
et voici sa tranformation par la trame choisie (c'est donc un "éclatement" du dégradé continu de l'image photographique en une constellation de points plus ou moins gros qui permettront la bonne impression de l'image en sérigraphie sur mon support de toile à grain moyen).
Ce beau tramage grossier m'a fait penser aux tableaux d'un artiste américain que j'aime beaucoup, Christopher Wool, qui mélange peinture et motifs sérigraphiés. Christopher Wool m'intéresse beaucoup aussi pour les livres qu'il publie à l'occasion de ses expositions - ce ne sont jamais des catalogues de facture traditionnelle, mais des livres très inventifs - j'en ai un, par exemple, tout en noir et blanc, où les tableaux ne sont pas photographiés de face et proprement détourés sur fond blanc comme on le fait d'habitude, mais saisis dans une ambiance d'atelier, posés contre les murs. C'est toujours très beau.
Enfin j'ai travaillé encore quelques heures à l'affiche pour Franck Bordas, et j'ai testé diverses choses: un plan de Prague en fond (sur la suggestion de Franck), ou encore l'ajout de ces deux arbres, que je vous montrais l'autre jour, et qui l'un et l'autre ne me semblent pas sans rapport avec l'idée de reproduction.
Hier, je suis tombé par hasard sur un site vraiment divertissant, qui propose la traduction immédiate, apparemment, du présent blog. Cette immédiateté est permise, j'imagine, par un procédé de traduction automatisée. Du moins je l''espère, car les textes qu'on y lit seraient , sinon, d'un traducteur particulièrement désinvolte. En tout cas, j'ai mis, là, la main sur un extraordinaire filon de poésie involontaire. En voici quelques perles (et aussi l'origine de ma phrase d'introduction à ces mots) - je donne entre parenthèses la phrase d'origine:
- "find there beautiful trees, I am unaware of the gasoline, whose trunk is white as that of the birches" (or se trouvent là de beaux arbres, dont j'ignore l'essence, dont le tronc est blanc comme celui des bouleaux)
-"Run in all the directions today, lost to tell the truth not badly of time, in any case I smell myself enough like rabbit of Alice" (Couru dans tous les sens aujourd'hui, perdu à vrai dire pas mal de temps, en tout cas je me sens assez comme le lapin d'Alice)
-"these words of Faust de Goethe: "Urgent stops, you are so beautiful" (and this recalls me this amusing paradox suggested by I do not know more which philosopher: "Urgent, one moment stops"!)" (ces mots du Faust de Goethe: "Instant arrête-toi, tu es si beau" (et ceci me rappelle cet amusant paradoxe proposé par je ne sais plus quel philosophe: "Instant, arrête-toi un instant"!).)
Ceci me donne naturellement très envie de tester l'expérience suivante (excuse-moi, traîtresse machine traductrice!): je vais écrire ci-dessous ces vers d'un sonnet de Shakespeare (le 18ème, mon préféré), dans la belle traduction de Pierre-Jean Jouve.
Irai-je te comparer au jour d'été? Tu es plus tendre et bien plus tempéré: des vents violents secouent les chers boutons de mai et le bail de l'été est trop proche du terme;
Parfois trop chaud est brillant l'oeil du ciel, souvent ternie sa complexion dorée, toute beauté parfois diminue de beauté, par hasard, ou abîmée au cours changeant de la nature;
Mais ne se flétrira ton éternel été, ni perdra possession de ce beau que tu as, et ne se vantera la mort que tu erres parmi son ombre, quand en rimes éternelles à travers temps tu grandiras;
Tant que les hommes respireront et tant que les yeux verront, aussi longtemps ceci vivra, ceci donnera vie à toi.
Demain nous verrons ce qu'en a fait la machine, et je comparerai avec le texte d'origine. Cela est sans doute un peu facile, certes, et a-t-il déjà été fait maintes fois - mais je n'y résiste pas. Et peut-être, selon le résultat obtenu, pourrais-je demain traduire ces nouveaux vers en français pour constater après-demain ce que nous offrira une seconde désinvolte traduction. Dans quelques jours sûrement, par la grâce de ce mystérieux alambic, obtiendrons-nous un texte d'une absolue étrangeté.
L'intérêt douteux de ce site traducteur me fait songer aux belles "Machines inutiles" de Munari, ou encore aux folles entreprises des scientifiques décrits par Swift dans Gulliver à Laputa.
A propos de Swift, j'improvise cette parenthèse pour recommander l'extrêmement joli livre d'Estelle Lemaître "Swiftitudes. De la rapide consolation d'un chagrin d'amour" où, entre autres mille bonnes choses, il est question de Raymond Hains, qui est à l'association d'idées ce que Mozart est à la musique (j'écoute La Clémence de Titus une nouvelle fois - en boucle l'air divin de Publius dans l'acte 2: "On tarde à s'apercevoir/ de la trahison/ quand on n'a jamais/ manqué de loyauté./ Il n'est que naturel/ qu'un coeur sincère/ et plein d'honneur/ croie tout autre coeur/ incapable/ d'infidélité.").
Et puisqu'il est question de recommandations de lectures, celle-ci encore, impérative: le très remarquable livre de Cécile Guilbert sur Sterne, "L'Ecrivain le plus libre" (où l'on apprendra, entre mille autres choses, dites de mille façons habiles, que Sterne vécut à Coxwold).
Je trouve toujours amusant de savoir ce que les gens lisent - ce sera donc mon excuse pour vous faire ces recommandations. J'ai par exemple dans ma bibliothèque un catalogue très intéressant sur Robert Smithson où figure en appendice l'inventaire exhaustif de sa bibliothèque et de sa collection de disques - ce qui apporte sur l'oeuvre de Smithson un éclairage vraiment intéressant. De même, une exposition sur Le Corbusier, il y a de nombreuses années (au beau titre "Les Objets à réaction poétique") montrait les livres de sa bibliothèque, où l'on pouvait voir les annotations qu'il y avait portées.
Cette évocation de Le Corbusier me permet de parler un instant de mes ânes - on connaît sa phrase: "La rue courbe est le chemin des ânes, la rue droite le chemin des hommes", que je livre à votre méditation, n'en saisissant pas l'intérêt dans l'instant.
Enfin, et pour en terminer avec les traductions, voici mon tout premier livre publié (en tant que traducteur, certes) et en quelque sorte mon premier livre d'artiste (passé, alors, tout à fait inaperçu de la critique) - non, je plaisante, c'était mon gagne-pain à l'époque (c'était il y a plus de vingt ans), activité de traducteur de romans roses, rapidement effectuée en quelques heures le matin, et qui m'a permis de consacrer les heures restantes, pendant des années, à des livres plus personnels, et surtout à des tableaux, et à tout le reste...
Enfin voici l'ouvrage du jour, un élégant pont:
J'adore les ponts, que j'ai souvent souvent dessinés ou peints:
At tomorrow! comme dit mon cher traducteur automatique.
A demain!
J'y ajouterai ceci, extrait de la très utile "Langue anglaise en 30 leçons suivie d'un manuel de conversation courante appliquée aux règles" de Georges Guilaine et Léon Marissiaux (professeur à l'Ecole Supérieure de Commerce à Paris):
Je reçois à l'instant cette image incroyable d'Alain Goulesque, que j'inclus immédiatemment à cet envoi, accompagnée de ses jolis mots:
"Une rue, au hasard de notre cheminement, qui, tout à coup, favorise nos esprits préparés, à Valenciennes, dimanche matin, 12h45. J'imagine l'inauguration de la rue, le maire, les notables, la fanfare tout ce que tu aimes dans un faste déploiement de "sens", mais là, il s'agit d' aller bien au delà du banal, il s'agit d'atteindre le profond, l'insondable, l'incommensurable, le brutal même... LE PROFOND SENS.... et y a pas seulement que de la pomme!!! y a des clients qui pourraient devenir aveugles... ça pourrait flinguer les incrédules...Faut arrêter la fabrication!"
(le cinéphile aura apprécié la culture de l'honorable correspondant, et sa référence aux Tontons flingueurs).
A demain!